Taille - tailler ( Ipo I... )*

Ça commence bien...

Je me pose une question à moi-même, en me rappelant une vieille blague qui nous faisait rire :
Qu’est ce qui se taille en hiver et qui finit par : "-a, r, d" ?...
Les arbres, connard !

De mieux en mieux...

L’hiver c’est en général l’époque de la taille du verger.

La taille des arbres, pour la plupart d’entre nous, c’est souvent très mystérieux, c’est souvent sur la taille que l’on nous demande le plus de conseils aussi.

Tout le monde aimerait savoir tailler, mais tout le monde peur de faire des bêtises, peur de mal faire, etc.
Les nombreux bouquins et traités sur le sujet apportent beaucoup de connaissances et de théories, bien sûr, mais lorsque l’on se retrouve face à son arbre, avec un sécateur, une scie, une tronçonneuse... C’est autre chose...

Voici un petit traité Rozavern de la taille des pommiers (et un peu des poiriers). Comme les autres, il ne prétend pas détenir la vérité, c’est juste une façon de voir les choses, une façon de faire parce que, comme j’ai tendance à le dire à chaque fois :

• La taille est une relation personnelle, tacite et presque intime entre l’arboriculteur et son verger
• Il y a autant de façon de tailler que de tailleurs
• Et surtout, pour reprendre une expression du grand philosophe Jean-Claude Van Damme : "La vérité, en vérité, y’a pas de vérité" (pour le coup ça s’applique pas mal à la taille).

Quelques principes quand même

• Lumière (let the sun shine)
• Équilibre (chiffres impairs et vents dominants)
• Harmonie (annule et remplace tous les principes précédemment cités.... mais pas toujours...)

*J’ai hésité, mais j’aurais pu mettre "mélody, tempo, harmony" (Cf. Stand the ghetto - B. Lavilliers/Jimmy Cliff 1994), ça marchait aussi. (Et je ne déconne qu’à moitié, finalement...)

Lumière

Tout au long de sa vie, le pommier va pousser, "faire du bois", produire de nouveaux rameaux, qui vont s’allonger et donner de nouvelles branches, sur lesquelles pousseront des milliers de feuilles, puis des fleurs, puis des fruits.
Certaines variétés vont être très "poussantes", très vigoureuses et produire beaucoup de bois, faire de grands arbres. Ces spécificités variétales sont renforcées et/ou calmées par la nature du terrain et l’environnement de plantation de l’arbre (qualité de terre (plus ou moins d’épaisseur, plus ou moins riche), sol frais ou séchant, verger abrité par des haies brise-vent ou non, etc...).

Un pommier peut très bien se débrouiller sans nous. Sans n’avoir jamais été taillé, il grandira, et produira des fruits.
Mais il pourra plus ou moins rapidement ressembler à un gros buisson, les branches retombant et trainant jusque par terre, quand le tronc lui-même ne s’est pas finalement couché sur le sol sous le poids de cette abondante chevelure.

Moi je trouve ça beau aussi, un vieux pommier de ce type là, ça raconte une ou des histoires.

Bon, ben finalement, je vais peut-être arrêter cet article et vous dire que la taille, c’est de la daube, et que ce n’est issu que d’une volonté ou tendance humaine plus ou moins inconsciente de vouloir tout contrôler y compris l’incontrôlable, la nature, dont nous faisons pourtant partie, et de vouloir tout mettre au cordeau, carré, dans un verger bien tondu... Mais pourquoi finalement ? Ben pour faire passer un tracteur facilement, tiens ! Oui mais est-ce que tu t’es posé la question de savoir si tu avais vraiment besoin de faire passer un tracteur, pour broyer l’herbe trois fois par an pour que ton verger soit "bien entretenu", et visuellement "joli" ?
Tout ça, ce n’est peut-être que du flan, et puis "joli" c’est subjectif, c’est joli pour des yeux humains conditionnés. Est-ce que le verger se trouve joli comme ça, lui ? Est-ce que le verger "se trouve", déjà ?...

...

Bon, après, le fait est que planter 20 hectares de vergers, ce n’est pas "naturel" déjà (mais 1 ha non plus... et même planter des arbres tout court si on va jusqu’au bout du truc...). Donc, on peut aussi se dire, que l’on créée une sorte de déséquilibre et qu’il est normal que l’on ait à le gérer derrière.

L’objectif, pour moi, étant de revenir à une sorte de nouvel équilibre face à cette nouvelle donne. Équilibre des arbres en tant que tels, si on parle de taille (ah oui, c’est de ça dont on parlait, au début, pardon...) mais aussi équilibre écologique végétal/animal/humain.

Hier soir, j’ai observé pendant 10 minutes une Chouette Effraie à l’affut sur une branche de pommier dans le verger là juste en dessous de la maison. Le verger est un de ses terrains de chasse, parce qu’il y a des campagnols, parce que les campagnols y trouvent à manger aussi (même s’ils ont une fâcheuse tendance à ronger les racines des arbres), parce que, etc, etc... Voilà un équilibre qui s’est recréé. Les arbres souffrent un peu de l’attaque des campagnols, et autres ravageurs, mais qui vont être mangés par des auxiliaires, qui eux mêmes vont servir de nourriture à d’autres prédateurs, rapaces etc.

Un verger comme on le gère, c’est un écosystème, une boucle, un cycle, une chaîne à laquelle il ne manque pour l’instant, de mon point de vue, qu’un seul maillon : l’élevage ; un troupeau de moutons ?, d’alpagas ?, ou de phacochères ?, (je n’ai jamais testé le gigot de phacochère, si ça se trouve c’est fameux).

Boucler la boucle, revenir à une harmonie paysanne logique et indispensable (jusqu’en 2014 il y avait des moutons dans les vergers), c’est l’objectif de fond.
Harmonie dans le verger, mais aussi dans nos vies et esprits.
Facile à dire, mais plus difficile à mettre en place concrètement, c’est un gros projet, (économiquement aussi...) que nous ne pourrons mener seuls... À suivre.

Je me rends compte qu’on a pas encore taillé une seule branche... Et le printemps arrive.
Désolé quand, j’écris, c’est à chaque fois pareil, je pars dans tous les sens... (Jen vient de passer derrière moi et de me dire : "...oh, mais pas que quand tu écris, si ça peut te rassurer...")

Vous pouvez oublier tout ce que je viens de dire et reprendre après le titre "lumière".

Lumière, parce que c’est le principe n°1 à appliquer, les feuilles de l’arbre ont besoin de voir le soleil pour fonctionner, le cœur de l’arbre a besoin de voir lui aussi le soleil !

Vous aurez remarqué la vitesse d’exécution de la taille, le lapin n’ayant pas bougé d’un millimètre.

On va donc tailler tout ce qui encombre l’intérieur de l’arbre, tout ce qui pousse vers l’intérieur, pour permettre de dégager des espaces, des "puits de lumière". Il faut s’imaginer oiseau et se voir pouvoir rentrer dans l’arbre depuis toutes ses faces : nord, sud, est, ouest, mais aussi par dessus, sans se prendre les ailes dans les branchages. Et au niveau du format de l’oiseau, dites-vous plutôt que vous êtes une pie ou un pigeon plutôt qu’un troglodyte ou une mésange.

Équilibre

Durant les premières années de la vie de l’arbre, nous avons pratiqué ce que l’on appelle une taille "de formation". c’est à dire que nous l’avons taillé et orienté afin que son squelette ressemble à ce que nous voulions et soit le plus adapté aux contraintes qu’il aura à gérer.

Je m’explique :

En général, en haute-tige (nous n’avons que des vergers haute-tige, traditionnels ; plus d’informations sur les différentes formes d’arbre dans cet article), on forme l’arbre en laissant monter 3 branches charpentières qui serviront de structure, de squelette à l’arbre. Ce sont ensuite sur ces charpentières, plus ou moins dressées selon la tendance acrotone* ou basitone* de la variété, que pousseront ensuite des branches fruitières, qui porteront les fruits.

Les charpentières, on les laisse filer, monter, on ne les rabats pas. À terme, un pommier haute tige pourra faire ses 7-8m de haut sans problème. On ne cherche pas à trop les écarter non plus, car quand l’arbre sera adulte et chargé de 300, 500, 800 kg de fruits, on sera content d’avoir des charpentières assez dressées pour supporter ce poids sans casser. Si ces branches partaient trop à l’horizontale dès leurs bases, le poids des fruits les ferait se briser à coup sûr (une histoire de bras de levier).

Les variétés à tendanceacrotone vont monter facilement, produire des charpentières bien dressées (exemple : Kermerrien, Beleïen, Kroc’hen ki). Au contraire, les variétés basitones auront tendance à aller s’étendre sur le plan horizontal et à plus "buissonner" (exemple : douce Coëtligné, C’huero Briz) .
Plus d’information sur les ports des arbres sur le blog de MacGleo par ici

Il est difficile, et pas judicieux je pense, de contrer une prédisposition naturelle de la variété. Si on essaie de faire monter absolument une variété qui ne le veut pas par essence, on va se battre tous les ans, pour un résultat qui laissera souvent à désirer. Dans ma vision un peu "mystique" de la taille, je pense qu’il vaut mieux conjuguer son énergie avec celle de l’arbre plutôt que de la confronter. J’essaie donc de m’adapter, de suivre les ondes, les directions, les courbes et les desseins des jeunes branches, pour les accompagner, et non les brusquer ou les contrarier.

Ensuite, je pense aussi aux équilibres des poids, des branches, des orientations, en trois dimensions. On choisit, au départ de la vie de l’arbre en général 3 charpentières, bien que des techniques de taille plus modernes puissent préconiser une conduite de l’arbre haute-tige sur un seul axe vertical, comme cela se fait en basse tige, par exemple. En tout cas, c’est 1, 3 ou 5, mais toujours des nombres impairs, parce que 2, ça finira par fendre par le milieu, 4 aussi, 6... je ne sais pas je n’ai jamais essayé.

Essayez de vous asseoir sur un tabouret à 2 pieds, vous verrez ce que ça donne niveau équilibre ! (Ouais mais ton exemple, il est pourri, parce qu’un tabouret à 4 pieds, ça marche...).

Bon, bref, nous on part sur trois charpentières, qui ne partent que rarement égales en vigueur et en orientation. Quand il faut les choisir, dans la jeunesse de l’arbre, je fais attention à ce que la majorité des branches ne se retrouvent pas "sous le vent" dominant (vestige de ma période voileuse me direz-vous ? sans doute). Les vents dominants auront tendance, toute la vie de l’arbre à le pousser, à vouloir le faire pencher vers un côté ; si en plus tout le poids des branches est situé sous le vent, cette tendance va s’accentuer et finira peut-être par mettre l’arbre par terre, parfois avant même qu’il ait eu le temps de produire des fruits... Chez nous, les vents dominants sont compris dans le secteur sud-ouest à nord-ouest.

Cet hiver, avec une fin de mois de décembre et un début de mois de janvier particulièrement pluvieux, notre verger a malheureusement fait les frais des actions d’Eole. Du vent dans les branches quand le sol est détrempé, ce n’est pas bon pour le pommier, qui a un système racinaire relativement léger et superficiel (par rapport à d’autre essences) ; et une bonne dizaine d’arbres se sont inclinés face à la pression du vent.

Si on ajoute à celà ceux que l’on a perdus l’été dernier, littéralement déshydratés sur place du fait de la sécheresse, ce n’est pas un bilan très positif pour l’année 2022... Mais bon, c’est comme ça quoi, ma pauv’ dame... (si vous savez faire l’accent breton pour prononcer cette dernière phrase, c’est mieux).

Pensez donc à garder des branches "au vent".

Ensuite, sur chaque charpentière, on équilibrera aussi le nombre de branches fruitières. "Aérer", "aérer", est encore le maître mot. On a toujours peur d’en faire trop l’hiver, et puis dès que les feuilles reviennent au printemps, on se rend compte, que finalement, c’est comme si on avait rien fait, on ne décèle même plus les marques de notre passage, et que si on avait su, on aurait taillé plus, et gnagnagna...

Un peu à l’inverse, l’équilibre, c’est aussi savoir se laisser du travail pour l’année prochaine, savoir renoncer à couper cette branche et lui laisser un an ou deux de répit, pour voir ce que ça va donner avec un an de pousse en plus. La décision qu’on aurait prise aujourd’hui ne sera peut-être pas la même que l’on prendra l’année prochaine.

Devant un arbre, s’il m’arrive de voir tout de suite ce qu’il y a à faire et d’attaquer instinctivement, il m’arrive à l’inverse de ne pas être inspiré, de tourner trois fois autour sans savoir quoi faire. Alors j’applique la tactique de Jean-Claude Dusse ("Tu l’sens pas, là ?...Ben t’as raison, le fais pas...") et je passe à l’arbre suivant ; pour celui-ci, on verra l’an prochain.

C’est peut-être le plus dur à gérer, parce que quand on taille toute la journée, plusieurs jours de suite, on a vite tendance à entrer dans une routine, où on coupe 1,2,3 branches et tac, allez, arbre suivant, et on recommence.
Ce côté "à la chaîne" est nécessaire pour avoir un peu de rendement dans la journée, et ne pas se poser trop de questions, c’est certain, mais on doit en même temps garder en tête le caractère unique de chaque arbre et la petite veilleuse "artistique" allumée dans un coin de la tête.

Pour moi, par exemple, sur une journée de taille, le démarrage le matin est en général frileux, au propre comme au figuré, je n’ose pas , je ne taille pas assez, je ne suis pas en confiance. Une fois passés quelques arbres, le moteur est en route, la vision s’ouvre, l’efficacité arrive, le dialogue commence vraiment. Ensuite, c’est la répétitivité de la tâche, et les pensées qui s’évadent, les sons de la nature environnantes qui m’emmènent vers un état un peu méditatif, introspectif, (appelez ça comme vous voulez...) où j’ai vraiment l’impression de faire partie d’un Tout pendant quelques instant. Un peu comme quand tu t’endors, tu commences à rêver, mais qu’une partie de ton cerveau entend encore les bruits extérieurs et que ton imaginaire s’ouvre tout en intégrant ces sons concrets dans le rêve en cours...

Voilà pour le passage : "Ah ouais, en fait il est quand même bien barré le gazier !... Il utilise un sécateur, faut pas non plus déconner..."

Harmonie

Ah mince, j’avais dit "harmonie" en troisième titre... Bon ben j’en ai déjà parlé, non ? Si, un peu, quand-même...

Tiens, une chose à laquelle je pense aussi : dans mes principes de taille, je taille des branches entières. Je coupe tout ou rien, mais je ne coupe jamais une branche à moitié. Je ne rabats pas à un 1/3, ni 2/3... (ni 3/4, ni 12/93ème ou sur le carré de la racine de Pi...)

Les outils :

• Un sécateur électrique sur perche pour la taille de formation (pour les jeunes arbres et branches, jusqu’à 3-4cm de diamètre )
• Une scie "japonaise" sur perche pour la taille d’entretien des arbres adultes
• Éventuellement une tronçonneuse sur perche (mais je préfère la scie, parce que moins bruyante, moins polluante, plus physique et donc plus sélective)
• Une tronçonneuse pour recouper ensuite au sol le bois de taille de diamètre suffisant pour servir de bois de chauffage

Quid du bois de taille ?

Après avoir taillé, s’être bien étiré les cervicales en regardant en l’air toute la journée (gare au torticolis à la première journée de reprise !), le travail n’est pas fini, il va falloir ranger tout ce que l’on vient de mettre par terre. On recoupe en général à la tronçonneuse tout ce qui pourra servir de bois de chauffage (On se chauffe au bois chez nous, et on chauffe la boutique aussi (en partie) au bois de pommier ! (qui est un excellent bois de chauffage soit dit au passage)). Et puis, comme on dit chez nous : "Quand homme blanc couper beaucoup de bois, hiver très froid...."

Le reste, on le rassemble en andains ou en tas, que l’on viendra reprendre avec le godet-grappin du tracteur pour refaire un gros tas dans un coin de champ. Ce résidu de taille sera soit broyé mais plus souvent brûlé. Il faut en tout cas éviter de laisser ces bois de taille pourrir sur un talus, car il y a un risque de développement de maladies (fongiques notamment) qui pourraient ensuite affecter le verger.

Le rendement :

En général, sur un verger entretenu et taillé tous les ans (il vaut mieux tailler un petit peu tous les ans, qu’une grosse fois tous les 5 ou 10 ans... P... on dirait mes profs de collège ou de lycée : "il vaut mieux réviser un petit peu tous les soirs, que d’attendre la veille du contrôle pour tout revoir d’un coup"...), j’arrive à avancer au rythme d’un hectare taillé par jour (et oui il est un peu haut-perché, le mec, mais il avance quand-même !). Il faudra ensuite passer du temps à recouper si besoin, puis ramasser le bois de taille, comme je l’expliquais plus haut.
Du coup, j’estime qu’il faut 2-3 jours seul par hectare pour un chantier de taille "normal". Soit un peu plus d’une journée à deux, ou une grosse demie journée à 4, 2 h à 8, 1h à 16, 30 mn à 32,etc..., mais après il faut faire une plus grosse gamelle de pâtes carbo, c’est sûr... Et puis y’a toujours ceux qui n’aiment pas la crème fraîche, il leur faut une assiette à part, tout ça... Nan c’est pour ça que moi, je dis, que les gnocchis, c’est bien aussi...
Ici, il y a une théorie qui dit que tout chantier

Pour tenter une résumance de la pensée spiritique de Skippy, je dirais, à retenir pour la prochaine fois, et pour ne pas se planter :

• Préférer tailler régulièrement (1 fois par an)
• Tailler tout ce qui pousse vers l’intérieur
• Aérer et équilibrer l’arbre
• Couper des branches entières (ne pas rabattre la longueur)
• S’adapter à la forme naturelle de l’arbre et si possible conserver cette harmonie
• Intégrer et conjuguer ces grands principes à vos contraintes techniques spécifiques et de terrain (taille des branches basses pour pouvoir passer avec la tondeuse, rabattage en hauteur si problème de proximité avec une habitation ou ombre...etc...)

"Maintenant, vous signez, vous adhérez à la secte ou pas, moi je vous laisse, parce que j’ai du pain spiritique sur la planche".

Skippy

* Ipo I taï taï yé (Epo I tai tai e) - Chanson Plus Bifluorée - trad. Maori