La suite des aventures de notre cuvée presqu’îlienne !
Ah oui, avant de commencer : tout ce que je dis , toutes les infos que je donne sur l’élaboration de la cuvée de la presqu’île sont aussi valables pour les autres cuvées et pour ce que nos faisons en général ; et inversement !
Avec l’arrivée de 2020, la fermentation s’est ralentie, et nous approchons aujourd’hui des densités de mise en bouteilles. Qu’est-ce que ça veut dire ? Et bien : qu’une majeure partie du sucre contenu dans le moût de pommes qui est sorti du pressoir a été transformé en alcool par le travail des levures.
Les levures transforment le sucre en alcool et en gaz carbonique, l’équation (simplifiée) étant :
- C6H12O6 → 2CH3CH2OH+2CO2
- soit : 1 Glucose → 2 éthanol + 2 dioxyde de carbone
Voilà pour le côté « scientifique » de la fermentation. Pour le reste, c’est une part de travail (les conditions de conduite de la fermentation que nous mettons en place et les actions que nous menons) et une part de hasard et de magie qui créent, développent et/ou rehaussent les qualités aromatiques d’une cuvée.
Le taux de sucre baisse donc au fur et à mesure de la transformation de celui-ci en alcool et en gaz carbonique. C’est ce que nous contrôlons régulièrement à l’aide d’un densimètre.
Pour ralentir la fermentation, ce processus naturel, nous utilisons :
- le froid, pour calmer l’activité des levures (en ce moment, les cuves fermentent à des températures d’environ 5°C)
- les soutirages, pour débarrasser à chaque fois la cuvée d’une partie de ses levures et ainsi la faire travailler moins vite
- une filtration en dernier lieu avec le même objectif d’éclaircissement et de stabilisation de la fermentation.
Avec la cuvée de la presqu’île, nous en sommes aujourd’hui à ce dernier point. Des soutirages ont été effectués au mois de décembre (cette année, l’automne n’aura pas été propice aux soutirages... Pourquoi ? tout est expliqué par ici !), pour calmer une fermentation relativement rapide. La fermentation s’en est trouvée (un peu) ralentie, mais a continué, il a fallu la quasi-stabiliser en filtrant la cuve ces derniers jours.
Voila un des deux filtres que nous utilisons régulièrement pour le cidre :
Il s’agit d’un "filtre à alluvionnage continu" ou "filtre à Kieselgühr".
Alors là, je vais pas me lancer dans les détails de fonctionnement de la bécane, parce que, attention, gros dossier !
Le principe de base quand même (parce que bon, hein !...) : on utilise une "terre" de filtration comme média filtrant qui va créer sur des supports de type plateaux une couche plus ou moins perméable selon la granulométrie de terre choisie (nan, mais déjà là, c’est chaud...). Le cidre va passer à travers cette couche de "terre", les levures et autres particules en suspension vont rester piégées dans ce tamis.
"Alluvionage continu", car à l’inverse de quand je fais le café (ou plutôt quand vous, vous faites le café, (moi je le fais toujours trop fort)...), où on place le filtre et on filtre la totalité de la cuve/cafetière avec ; ici on va ajouter une dose de terre régulièrement au cidre à filtrer pour que celle-ci se dépose sur les plateaux en même temps que le cidre arrive. Pour garder l’exemple de la cafetière, c’est comme si on arrivait à superposer des filtres successifs l’un sur l’autre pendant le passage du café, pour éviter que ceux-ci ne se colmatent totalement et pouvoir ainsi filtrer une bien plus grande quantité de café... euh, de cidre, de cidre !
On a donc toujours un mélange cidre+terre dans le bac prévu à cet effet. Une dose de ce mélange est injectée régulièrement dans le cidre à filtrer (toutes les 2 secondes environ) par une pompe doseuse.
Autant vous dire que de la maitrise des réglages, notamment de débit, et de concentration en terre, dépend la qualité et la faisabilité de la filtration.
C’est une machine qui peut fonctionner de manière impressionnante, et donner d’excellents résultats, des filtrations efficaces, propres, et rapides quand tout va bien....
En revanche, ce genre "d’usine à gaz", avec ses 19 vannes différentes est directement inféodée à la loi de Murphy, qui est-il besoin de le rappeler est aussi connue sous l’appellation de "loi de l’emmerdement maximum", qui stipule que : "quand une chose est susceptible de mal tourner, il y a à peu près 100% de chances pour qu’elle tourne mal"... (Vous aviez remarqué que je vous préparais psychologiquement et petit à petit à un prochain article sur le sujet ?...).
Il y a mille raison de rater son coup :
1ère raison : ...
Non, je déconne, c’est pour détendre...
Tout ça pour vous dire que la cuvée a été filtrée !
Voilà le résultat qu’on peut attendre ; avant/après filtration :
Soutirée, filtrée ; le volume de la cuvée se réduit un peu à chaque action. De 42hl en sortie de presse, nous en sommes à un peu plus de 37 hl aujourd’hui.
La densité de notre cidre est de 1022 à 5°C (soit quelques points de moins à une température de 20°C), ce qui la placerait plutôt dans une catégorie intermédiaire, entre brut et demi-sec.
Et oui, car cette densité n’est pas la densité finale qu’aura le produit une fois pétillant. Lorsqu’il sera mis en bouteilles, le cidre va refermenter encore un peu (perte de 5 ou 6 points supplémentaires), "prendre sa mousse" (le gaz carbonique de l’équation du début), et perdre encore un peu de sucre bien sûr. On peut estimer que la densité finale "produit fini" se situera aux alentours de 1015-1016.
Là, c’est nous qui avons fait le choix de stabiliser la fermentation à ce niveau. Le choix a été fait en fonction des qualités aromatiques et des saveurs de la cuvée.
L’amertume et l’acidité, nos deux saveurs dominantes, s’expriment et se révèlent différemment selon le taux de sucre de la cuvée. Pour notre cuvée de la presqu’île, l’amertume est légère, ce n’est pas la saveur dominante ; l’acidité en revanche est bien présente (beaucoup de pommes à couteau, vous vous souvenez ?), donc nous avons jugé bon de ne pas trop "laisser descendre" en densité la cuvée afin que cette acidité ne soit pas trop "brutale" face à un produit manquant de sucre ; mais suffisamment pour que se révèle la légère amertume qui se traduira en une présence un peu plus affirmée en bouche, un peu plus de corps et de persistance, avec un taux de sucre moins élevé laissant la place à la perception de toute la diversité des arômes et saveurs en bouche.
A présent que la cuvée est filtrée, le prochain grand objectif sera la mise en bouteilles. C’est relativement tôt en saison, les mises en bouteilles arrivent plutôt avec le printemps d’habitude, mais cette année, les fermentations ont tendance à se faire un peu plus rapidement...
Avant cela, nous effectuons ce que nous appelons un "test au chaud".
Le test au chaud, c’est tester, en atmosphère contrôlée, la refermentation d’un cidre en bouteille, pour parer à d’éventuels problèmes de refermentation trop importante engendrant des surpressions.
En gros, on embouteille deux ou trois bouteilles, bouchées, muselées on fait une batterie de tests sur la première (densité, dénombrement de levures au microscope, transformation malo-lactiques, pH...) ; on met les deux autres dans une étuve à 25°C pendant 3 semaines, et au bout de ce délai, on refait la même batterie de tests + une prise de pression dans la bouteille à l’aide d’un aphromètre ; on débouche et on goûte.
Trois résultats possibles :
- Si la pression est trop faible, c’est que le cidre manque de levures, ou bien celles-ci manquent de nutriments pour travailler (on a peut-être filtré trop "serré"). Il faudra sans doute ré-ensemencer en levures avant de mettre la cuvée en bouteilles si on ne veut pas que les prises de pétillant durent un an, voire ne se fasse pas dut tout !
- Si la pression est considérée comme correcte, alors "feu vert", la cuvée peut être mise en bouteilles telle quelle, la prise de mousse devrait bien se passer et dans des délais acceptables (3-4 mois).
- Si la pression est trop importante, attention, danger ! Il n’est pas envisageable de mettre en bouteille la cuvée en l’état, car on irait au-devant de gros problèmes potentiels de surpression... Là, c’est un peu plus embêtant, car la seule solution serait de faire refermenter un peu la cuvée pour refaire travailler et se fatiguer nos levures avant de les enfermer dans la bouteille (ce qui impose un réensemencement en levures, une nouvelle phase de fermentation, une nouvelle filtration....etc... + une perte de sucre, donc une perte de l’équilibre sucre/acidité/amertume défini plus haut).
C’est pour cela que les produits en pétillant naturel comme les nôtres sont plus compliqués techniquement à élaborer, et demandent beaucoup de suivi et d’adaptation, pour un résultat qui peut être très bon (ben oui, de temps en temps quand même, même moi je trouve ça pas mal !...), mais dont on aura jamais la garantie à 100% (même si nous mettons tout en œuvre pour s’en approcher (99% !), la nature reste maîtresse du jeu au final).
Aujourd’hui, l’écrasante majorité des cidres sur le marché national et même local sont gazéifiés artificiellement, voire pasteurisés et gazéifiés artificiellement ce qui permet de tirer un trait sur une bonne partie de ce que je vous raconte sur ce blog !...
Nos échantillons de la cuvée de la presqu’île sont donc actuellement bien au chaud dans leur étuve, ils devraient en sortir la semaine prochaine pour passer leurs partiels de janvier ; nous verrons à ce moment là si une mise en bouteille est possible directement !
A bientôt !
Vos commentaires
# Le 7 janvier 2020 à 22:34, par André Potier En réponse à : La cuvée de la Presqu’île - Episode 3
Ouah !!! Alors là, bravo !
C’est très technique, des machines partout...
Des boutons, des voyants, des manomètres, des thermomètres, des machinmètres !
On se croirait dans une des aventures de Blake et Mortimer :
"Les Mystères de Rozavern"
Bon courage et à bientôt pour aller déguster à notre prochain passage.
André.
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