15 ans ferme...

En différé de la semaine dernière...

"Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends"

J’adore cette phrase. Elle n’est pas de moi, elle est de Mandela, il paraît. (On parle du personnage historique, hein, "Nelson" ; pas du dessin géant fait au râteau sur la plage...)

Et bien la semaine dernière, on a bien appris, tiens...
On a bien, bien appris dans notre face, même...

Enfin bon, "Tout ce qui ne tue pas te rend plus fort", comme disent les Neg’ Marrons... (quand tu cites Mandela et les Neg’ Marrons dans le même article, ça commence à devenir n’importe quoi, non ?)...

En même temps "tout ce qui ne tue pas te rend plus fort", j’ai envie de dire "oui et non". Un exemple : hier soir, on me propose une tisane. Et moi bon, la tisane... bon voila, quoi... À la limite si c’est une tisane à l’orge, fermentée, fraiche et houblonnée, je dis pas, mais sinon... bof quoi...

Et là je me suis souvenu de cette phrase. (pas celle de Mandela, du coup, non, celle de Jacky et Ben-J, pour le coup : "Tout ce qui ne tue pas te rend plus fort", donc dans ma tête, c’est allé très vite : la tisane, à priori ne tue pas, donc, S.L.T.D.N.M. la tisane te te rend à priori plus fort... Et j’ai dit oui... (en 5ème, on avait été autorisés, je m’en souviens, à écrire "S.L.R.D.T.D.P" pour "Selon La Réciproque Du Théorème De Pythagrore" dans nos devoirs de maths, alors là je vous autorise à utiliser "S.L.T.D.N.M." pour "Selon La Théorie Des Neg’ Marrons")

Bon, là ça fait plus de 24h que j’ai ingurgité le breuvage, et je vous avoue que c’est pas fou-fou en terme de force... Pour l’instant... Après, c’est vrai que dans la chanson, ils ne parlent pas de délai non plus... Je vous tiens au courant...

-"Bravo Tomasi, cet excellent sophisme vous vaudra un avertissement, et si vous êtes aussi doué en mathématiques qu’en philosophie, vous devriez savoir que c’ets le dernier avant le blâme..."
– "Et combien d’blâmes pour un renvoi ?..."

Bon, sinon, le lendemain de la tempête (parce que c’est de ça dont je voulais parler, à la base) j’avais écrit... Mais bon, je sais pas, je trouvais ça assez plombant avec les quelques jours de recul... Alors je ne savais pas si je devais le publier... Mais si vous insistez, je veux bien... Vous insistez ? Bon. Voila :

Quinze ans ferme...

Nous sommes le 2 novembre 2023, et j’écris à la lueur de la bougie (et un peu de la lampe frontale aussi, parce qu’on a beau être le 2 novembre, on est quand même en 2023... Vous me ferez juste penser à aller racheter des piles AAA lorsque M le Préfet nous aura autorisé à ressortir de nos terriers. Tiens, et les marmottes, tiens, comment ça se passe ?... Nan, je veux dire : elles ont des préfets aussi ?... Qui leur dit quand elles peuvent sortir ?... Est-ce qu’elles ont des gens qui leur disent "faut faire ça", ou "faut pas faire ça" ?... "J’fais c’que j’veux, ok ?... Personne ne m’dira c’que j’dois faire... N’oublie pas qu’on est qu’des morceaux d’bidoche..." (Mandela, les Neg’ Marrons, le Péril Jeune, King Ju... Y’a du niveau...).

Nous sommes le 2 novembre 2023, et j’écris "en attaché", avec un crayon, sur du papier. En cursives, quoi... Après une douzaine d’années que je qualifierais "d’errance", où je m’étais mis, outre-Atlantique, à écrire en "caractères d’imprimerie" ; face à la demande d’une poignée d’étudiants colombiens à qui je donnais quelques cours de français (si, si, ne rigolez pas... ) et qui peinaient apparemment à me relire...

Nous sommes le 2 novembre 2023, et j’écris à la lueur de la bougie, "en attaché", avec un crayon, sur une feuille de papier, au coin du feu, dans une maison redevenue calme. Il n’y a plus de bruit, ni dedans, ni dehors. Plus rien. (En fait, ça en fait du bordel , un frigo !...). Le fil qui l’alimentait est tombé du poteau et est étalé par terre sur la route devant chez nous depuis la nuit dernière...

Nous sommes le 2 novembre 2023, et hier, ou plutôt, tôt ce matin, on a pris cher, on a dégusté, on s’est fait laminer...

"Comme une fan de Camille dans le pogo a un concert des Ludwig Von 88", je dirais (celle-ci est de moi... C’est moins classe, j’en conviens...) Enfin, je dis ça, finalement, je ne peux pas dire, je n’ai jamais fait un concert ni de l’une ni des autres... Mais j’imagine que ça doit faire un peu cet effet là, et que dans l’autre sens c’est nettement moins parlant... Après, franchement, qu’est ce qu’irait faire un fan de Ludwig à un concert de Camille ? Je suis sûr qu’il n’y a même pas de buvette... Ou alors si... De la tisane, peut-être ?...

La Nature a parlé, le jugement a été prononcé ; pour nous, ce sera "quinze ans ferme".

Alors, je veux pas faire mon rabat-joie, mais c’est vrai qu’il était plus facile d’être positif hier matin que ce matin au réveil...

"200km/h, c’est beaucoup, Papa ?"..
"Euh..Oui, c’est beaucoup...."
"Oui, mais par rapport au TGV ?"
"Euh, non par rapport au TGV, c’est pas fou..."

J’écris de ma main sur du papier. Pas sur un clavier (enfin là, si de fait, mais dans l’instant, non. Parce que je recopie, là en fait. Suivez, hein, prenez des notes...). plus de "smart"Phone depuis presque un an déjà, terminé... "Ah ouais, et est-ce que c’est mieux ?"... Je ne sais pas si c’est mieux... Mais c’est ce que j’ai choisi. Je n’ai pas reçu, par exemple, l’écran d’alerte qui sort de je-ne-sais-où m’annonçant qu’on allait se faire défoncer. Le truc qui sait qui tu es, où tu es, avec qui tu es... Quelle bière tu bois (Jenlain... Ambrée, présentement...). Pas besoin de "France Alerte" pour savoir que ce qui nous arrivait dessus n’était pas joli.

Le truc marrant, c’est qu’avec mon portable "basique" j’écris avec le mode "T9". Déjà, ça, ça te fait marrer ? Non, non, mais attends, tu vas rire après, écoute :
En fait dans la situation toute pourrie dans laquelle on est, on a reçu plein de messages de soutien (un grand Merci !), et j’ai souvent envoyé "verger ravagé" pour expliquer la situation. Oui, mais le mode "T9", quand tu tapes "ravagé, il te propose "saucisse". Voilà c’est tout. Moi ça m’a fait pouffer (et même repouffer, et re-repouffer). Non ?... Bon, tant pis...

Tiens, d’ailleurs, au passage, si quelqu’un a un Minitel à me refourguer d’occas’, je prends...

Lors des visites guidées qu’on organise, à la question "quelles sont les maladies et/ou les ravageurs, et les dangers qui menacent votre verger ?", j’ai toujours répondu "la tavelure gnagnagna" ou bien encore "l’anthonome gangnagna"... Mais j’ai aussi toujours ajouté que l’animal le plus dangereux de la savane africaine, c’était le "Crocolion"... Oups, pardon, je m’égare, je repensais à une vieille blague... Mille excuses...

J’ai toujours répondu, pardon, que le plus gros des risques, au niveau du verger, c’était la tempête, violente, au plus mauvais moment, avec des vents orientés bien comme il faut (et si possible avec un nom à la con). Celle qui nous mettrait tout le verger par terre en une nuit... En une heure. (oui, pourquoi les grosses tempêtes frappent-elles toujours de nuit, tiens d’ailleurs ?... En théorie, il n’y a pas plus de chances pour qu’une dépression passe la nuit que le jour, si ?...)
Je dis pas que ce serait mieux le jour, ce serait peut-être pire, même, mais bon, celle-là, encore une fois, elle est passée de nuit.

On avait pris toutes les précautions possibles, rangé tout ce qui pouvait voler, sanglé et lesté les moutons, etc... Parce que, l’amateur d’analyse de phénomènes météos que je suis voyait le truc arriver, le scénario, pile comme il ne fallait pas.

J’ai même consulté, pour comparer, des sites météo anglais, me rappelant qu’en 87, ils avaient mieux prédit et anticipé "l’ouragan" que nous... (Enfin, pour être tout à fait honnête, j’ai sous-traité la consultation de ces sites, parce que même si je suis complètement bilingue, la preuve, "la tempête", ça se dit : "the tempest" en anglais (voila bien la preuve de ce que j’avance, quand même !...)), je préférais assurer...)

La grosse tempête, celle qui décide, celle qui juge, celle qui dispose... Celle d’hier, quoi...

C’est bizarre, parce qu’autant on ne veut pas que ça arrive et on pleure les dégâts causé par la tempête ; et d’un autre côté, on ne peut pas nier une certaine fascination pour ce type d’évènement naturel. La force dégagée, le caractère aléatoire des conséquences etc. Les tempêtes, les orages, les volcans, les montagnes, la mer, le loup... Il y a un côté mystique, spirituel qui doit être ancré depuis des millénaires dans nos gênes quand même, un mélange de peur et de fascination...

15 ans ferme, sans appel...

Ce matin, on devait, en théorie, continuer ce que l’on faisait depuis un mois, et depuis 4 jours consécutifs : presser des pommes, pour les transformer en moût, puis en cidre.

On savait bien que ça ne le ferait pas.

Je me suis levé comme d’habitude, à 5h07 (ah ouais, genre "le mec qui se lève tôt" quoi...) "07" parce que c’est toujours 7 minutes de gagnées, et sur un an, 10 ans, une vie, ça chiffre. Petit déj’ à la frontale (l’électricité avait sauté tôt dans la nuit). Le vent sifflait encore fort, mais sans commune mesure avec ce qui s’était produit la nuit dernière entre 2h et 4h du matin...

Je ne sais plus si c’est Jules César ou Christophe qui disait "Vieni Vidi, Pleuri" ; "je suis venu, j’ai vu, j’ai pleuru" (pour ceux qui préféraient manger au 1er service plutôt que d’aller en salle B21 à 12h30 pour l’option facultative "Latin"...)

"Aïe... Aïe... J’ai mal... J’ai beau être matinal, j’ai mal..."

Je suis sorti, j’ai vu. Le tunnel, arraché, quelques branches ça et là... Et puis le lever du jour, quelques heures plus tard aura été plus terrible, plus déprimant, plus attristant... des arbres étêtés, par centaines, pulvérisés, broyés, disloqués, déracinés. Des chênes surtout, des troncs d’1m de diamètre éclatés sous la seule force du vent... Et les vergers...

Nos vergers sont sévèrement touchés, à presque 50%...
Non, non, non, non, ce n’est pas ça qu’il faut dire. Il faut dire : "50% des vergers ont héroïquement résisté !" bien sûr !

Une bonne partie du travail de plantation effectué depuis 20 ans a été anéanti en 2h (peut-être moins, même, je ne me suis pas levé pour aller voir). Dans les sols gorgés d’eau, les arbres se sont couchés. Dans les terrains moins humides, ce sont les troncs qui ont été sectionnés par le vent.

Tous couchés, ce matin, comme des girouettes, ils semblaient nous montrer avec leurs pieds d’où était venue l’agression nocturne...

Il était trop tôt en saison pour que des arbres encore dans leurs parures d’automne, en robe de feuilles et de fruits ne puissent espérer opposer la moindre résistance aux assauts de rafales à près de 200km/h...
Les feuilles n’ont rien lâché, ce n’était pas leur heure, elles ne se sont pas détachées, et c’est tout l’arbre qu’elles ont entrainé.

Ce soir, dans la basse lumière automnale qui se frayait péniblement un passage à travers les épais nuages que la tempête passée avait laissé sur son chemin, les fières feuilles qui n’avaient pas abdiqué avaient pris une teinte brune, orangée, presque rouge, brûlées par le sel transporté par Éole... Et c’était presque beau...

L’année 2023 était notre véritable première année d’entrée en production du verger, globalement (un verger "haute-tige", traditionnel, comme le nôtre, met longtemps à pousser et à produire, une bonne quinzaine d’années...). Nous étions tout fiers de commencer à récolter les fruits de notre engagement et de notre travail sans relâche (le nôtre et celui de nos parents avant nous). Nous osions entrevoir un accès prochain à l’autonomie tant recherchée au niveau des fruits...

2 novembre 2023, fin du rêve, 15 ans ferme...
Une bonne partie de tout ça sera à refaire, et nous ne serons peut-être jamais autonomes en fruits de notre carrière...

En 1987, j’avais 4 ans. Je ne crois pas me souvenir de "l’ouragan"... Est-ce que la nuit dernière, les vents ont été plus forts et les dégâts plus importants qu’n 87 ?... Certains diront que oui... D’autres diront que non... Les suisses resteront sans doute neutres et diront peut-être qu’on ne peut pas comparer... Ils auront sans doute raison...

Toujours est-il que, malgré le traumatisme, depuis 1987, on a continué à faire du cidre, et qu’il y a encore des pommiers !

Alors on va couper, redresser (comme dans une autre blague, mais avec une histoire de fantôme, je crois, cette fois...), replanter, tuteurer, tailler, protéger. Panser les plaies, les leurs aux branches, les nôtres au cœur, et sécher les larmes.

Parce que (et puisque c’est un peu la teuf de la citation) : "Quand deux chemins se présentent à toi, choisis toujours le plus difficile".

Et puis aussi parce qu’aujourd’hui, nous sommes le 2 novembre 2023, on ne se prend pas encore, comme tant d’autres au quatre coins du monde, des bombes sur le coin de la gueule ; et parce que j’en connais un qui, dans un mois aura 4 ans, et qui, dans quelques années j’en suis sûr, ne s’en souviendra pas non plus de "Ciaran"...